L’Affaire Cumhuriyet: Quand la liberté de la presse turque se heurtait à un mur de silence

L’affaire Cumhuriyet, qui a secoué le paysage politique et médiatique turc au milieu des années 2010, met en lumière les tensions persistantes entre la liberté de la presse et l’interventionnisme étatique dans ce pays. Cet épisode controversé impliquait des journalistes de renommée du quotidien Cumhuriyet, un pilier historique de la presse indépendante turque.
Pour comprendre l’ampleur de cette affaire, il faut remonter aux racines profondes du contexte politique turc. Depuis son arrivée au pouvoir en 2002, le Parti de la Justice et du Développement (AKP) dirigé par Recep Tayyip Erdoğan a mis en œuvre une série de réformes libérales, suscitant un optimisme certain quant à l’avenir démocratique du pays. Cependant, ces avancées ont été progressivement éclipsées par un durcissement du climat politique et une restriction accrue des libertés individuelles.
En 2016, la Turquie a été frappée par une tentative de coup d’État orchestrée par une faction de l’armée. Cet événement traumatique a servi de prétexte à Erdoğan pour intensifier sa répression contre les opposants politiques, réels ou supposés. Le quotidien Cumhuriyet, connu pour ses positions critiques envers le gouvernement, est rapidement devenu une cible privilégiée.
En mai 2016, plusieurs journalistes du journal, dont le directeur général Can Dündar et la responsable de la section web Erdem Gül, ont été arrêtés et accusés de complot contre l’État et de divulgation d’informations classifiées. Les accusations portaient sur la publication d’images montrant des camions transportant des armes à destination des groupes rebelles syriens, ce qui semblait impliquer le gouvernement turc dans un soutien clandestin aux factions armées.
L’affaire Cumhuriyet a immédiatement déclenché une vague de condamnation internationale. Des organisations telles que Reporters Sans Frontières et Amnesty International ont dénoncé l’arrestation des journalistes comme une violation flagrante de la liberté de la presse. Les États-Unis et l’Union Européenne ont également exprimé leur inquiétude quant à la détérioration du climat démocratique en Turquie.
En décembre 2016, Can Dündar et Erdem Gül ont été condamnés à cinq ans de prison pour “trahison” et “révélation d’informations confidentielles”. La sentence a été confirmée en appel, suscitant l’indignation de la communauté internationale et une vague de protestations en Turquie.
L’affaire Cumhuriyet a eu des conséquences profondes sur le paysage médiatique turc:
-
Erosion de la liberté de la presse: La condamnation de Can Dündar et Erdem Gül a envoyé un signal clair aux journalistes indépendants, créant un climat de peur et d’autocensure. De nombreux journaux critiques ont été fermés ou contraints de se conformer à la ligne du gouvernement.
-
Consolidation du pouvoir d’Erdoğan: L’affaire Cumhuriyet a renforcé le pouvoir d’Erdoğan en éliminant des voix dissidentes et en renforçant son contrôle sur les médias.
-
Internationalisation du débat sur la liberté de la presse: L’affaire Cumhuriyet a suscité un débat mondial sur l’importance de protéger la liberté de la presse, même dans les contextes politiques difficiles.
L’affaire Cumhuriyet reste un chapitre sombre dans l’histoire récente de la Turquie, soulignant les fragilités démocratiques d’un pays qui aspire à rejoindre l’Union Européenne.